Vivre avec le mal familial de l’alcoolisme

«Quand j’ai commencé à me traîner aux salles de réunion Al‑Anon, j’ai découvert que les alcooliques ont trois choix: l’internement, la mort, ou le rétablissement. J’avais ces mêmes choix. J’ai choisi le rétablissement. Je n’aimais pas les autres possibilités.»

 

Vivre au contact de l’alcoolisme peut ressembler à un constant état de deuil. Nous avons pu devenir tellement habiles à vivre avec le deuil que nous vivons nos journées sans être conscients de sa présence. Quand nous admettons que notre vie est affectée par la consommation d’alcool d’une autre personne, nous admettons également notre deuil. Parce que l’alcoolisme est un mal familial, tous les membres de la famille sont affectés, pas seulement l’alcoolique. Chaque personne réagit à sa manière dans un environnement où l’alcoolisme est présent. Une personne peut tenter de contrôler, tandis qu’une autre niera l’existence du problème. D’autres se blâment elles-mêmes.

Avant Al‑Anon, nous étions occupés à chercher des solutions pour l’alcoolique. Quand nos efforts n’aboutissaient pas, nous nous disions qu’il fallait essayer plus fort ou essayer autre chose. Nous nous sommes même peut-être dit que c’était notre faute si nous ne pouvions pas convaincre l’alcoolique de devenir sobre. Si seulement nous pouvions trouver les bons mots au bon moment, les prononcer d’un ton de voix approprié, nous pourrions peut-être amener l’alcoolique à voir les choses comme nous. Au désespoir de réaliser nos rêves d’une vie de famille heureuse, nous avons cru que la solution était de vouer toutes nos énergies à régler le problème. Nous ne réalisions malheureusement pas qu’en essayant d’imposer une solution, nous contribuions plutôt au problème.

Dans Al‑Anon, nous apprenons que nous ne sommes pas la cause de l’alcoolisme, que nous ne pouvons pas le contrôler, et que nous n’en connaissons pas la cure. Si nous essayons d’imposer des solutions, nous pouvons nous rappeler le slogan « Se hâter lentement ». Bien que nous ne puissions pas nous attendre à ce que notre vie soit toujours facile, ce slogan nous suggère que les choses n’ont pas toujours à être si difficiles non plus. « Se hâter lentement » nous rappelle d’agir avec douceur envers nous-mêmes. Nous n’avons pas à essayer plus fort ou à faire mieux. Nous avons suffisamment essayé. Même si nous ne pouvons pas changer l’alcoolique, nous découvrons qu’il y a effectivement une personne que nous pouvons changer : nous-mêmes.

Une maladie faite de deuils

«Mon premier mari est mort alcoolique, mais je n’ai pas pleuré sa mort autant que j’ai pleuré l’échec de notre relation, ainsi que mes rêves d’amour et de bonheur qui, “jusqu’à ce que la mort nous sépare”, ne s’étaient pas réalisés. Pendant des années, j’ai pleuré avec colère, avec ressentiment, et des “Pourquoi moi ?”, ne comprenant pas que la maladie de l’alcoolisme avait été le véritable problème. Cette maladie a mis fin à notre relation et à la vie de mon mari.»

Les conséquences de l’alcoolisme imprègnent nos relations et peuvent compliquer notre deuil. Nous pleurons pour nous-mêmes, pour nos rêves, et pour notre famille. Si nous avons de jeunes enfants, ils peuvent déjà subir les conséquences d’une enfance dans un foyer alcoolique. Même si nos enfants ne vivent plus au contact de l’alcoolisme actif, leurs vies continuent d’en être affectées. Ils peuvent s’isoler, se blâmer, avoir des difficultés à l’école, ou agir de manière négative. Nos enfants peuvent également transporter le douloureux fardeau de ce mal familial dans leur vie d’adulte. Ces mêmes qualités qui leur ont jadis permis de survivre peuvent causer des difficultés dans leurs relations familiales, avec leurs amis, et leurs collègues. Ils ont peut-être du mal à prendre des décisions. Ils souffrent peut-être de peur et d’anxiété, et ils ont peut-être de la difficulté à maintenir des relations intimes. Ils épousent souvent des alcooliques, ou ils le deviennent eux-mêmes.

La vie quotidienne au contact de l’alcoolisme porte atteinte à l’estime de soi. Quand nous arrivons à Al‑Anon, nous avons parfois l’impression que nous nous sommes perdus. Il est admirable d’être prévenant et attentif aux besoins des autres, mais pas aux dépens de notre propre bien-être. Petit à petit, nous avons pu négliger nos propres besoins en donnant aux autres tout notre amour, tous nos soins et toute notre attention. Nous ne savons peut-être pas très bien comment nous en sommes arrivés là.

«J’ai reconnu que j’avais non seulement perdu le peu de contrôle que je croyais avoir, mais que je m’étais également perdue. Cette dépendance à laquelle je voulais mettre un terme était nourrie par mon comportement. Al‑Anon m’a aidé à voir le rôle que je jouais dans le cauchemar que je vivais, et m’a donné les outils pour m’aider à me réveiller et commencer à vivre la vie selon ses propres termes, et non les miens. Aujourd’hui, je peux regarder dans le miroir en sachant que je me réapproprie ce qui avait été perdu: moi-même.»

Changer les dynamiques de nos relations

Dans Al‑Anon, nous apprenons à établir des limites, à dire oui quand nous voulons dire oui, et non quand nous voulons dire non. Nous ne donnons plus par obligation, pour contrôler, ou par crainte, mais parce que nous voulons bien donner. Quand nous commençons à mieux prendre soin de nous-mêmes, nous pouvons commencer à donner de manière plus saine.

Reconnaître notre rôle dans la relation avec une personne alcoolique, c’est un aspect essentiel de notre rétablissement. Avant de pouvoir faire des changements positifs, nous devons d’abord être conscients des dynamiques de la relation et du rôle que nous avons joué. Nous avons peut-être agi en protecteurs, essayant de secourir l’alcoolique ou de lui trouver des excuses. Nous nous sommes peut-être perçus comme des victimes, impuissantes à changer notre situation. Notre rôle était peut-être d’accepter le blâme pour la consommation et les comportements de l’alcoolique, en nous excusant pour tout ce qui n’allait pas. Certains de nos comportements empiraient les situations déjà difficiles.

Nous examinons notre rôle dans le mal familial non pas pour nous blâmer, mais plutôt pour approfondir notre compréhension et notre compassion envers ces aspects de nous-mêmes que nous voulons changer. Nous ne pouvons briser nos anciennes habitudes sans cette compréhension. Plutôt que de continuer à nous sentir responsables des autres, nous commençons à devenir responsables de nous-mêmes et de nos actions. Nous avons fait de notre mieux dans le passé avec les ressources dont nous disposions, mais, grâce à nos prises de conscience, nous pouvons maintenant voir les choses autrement. En appliquant les principes de notre programme dans notre vie de tous les jours, nous commençons à réagir autrement que par le passé. Nous abandonnons nos illusions de contrôle et cessons de croire que nous pouvons changer l’alcoolique ou lui imposer la sobriété.

Tandis que nous commençons à changer, nos relations changent également – non seulement avec l’alcoolique, mais avec tous ceux qui nous entourent. Dans toute relation, lorsqu’une personne change, toute la relation est transformée. Tout comme nous avons été affectés par le mal familial de l’alcoolisme, ceux qui nous entourent seront affectés par notre rétablissement. Toutefois, même si nous voulons du changement dans une relation, ce changement peut entraîner un deuil.

Tous ne seront pas heureux de ces changements en nous – parfois nous les premiers. Nous pouvons revenir sur le passé et même tenter de nous convaincre que les choses n’allaient pas si mal avant notre rétablissement. Nous pouvons alors nous attendre à une période temporairement plus agitée ou à des crises plus fréquentes. Cela ne veut pas dire que nous devrions revenir en arrière, même si nous nous sentons poussés à le faire. Les changements positifs ne semblent pas toujours confortables au début. Ces jours où il nous semblerait plus facile de revenir en arrière, nous pouvons nous dire que notre Puissance Supérieure nous a guidés jusqu’ici. Nous sommes exactement où nous devons être.

Faire face aux crises et à l’incertitude

Lorsqu’on vit au contact de l’alcoolisme actif, la vie semble parfois n’être qu’une succession de crises. En fait, nous pouvons devenir tellement habitués à vivre en situation de crise que nous ne sommes pas à l’aise en dehors du chaos. Face à une crise ou un événement traumatique, nous sommes devenus habiles à mettre nos sentiments de côté. Souvent, gérer la crise l’emportait sur ce que nous ressentions. Nous avons pu graduellement perdre contact avec notre capacité de respecter nos sentiments. Nous avons peut-être tendance à réagir immédiatement plutôt que de prendre le temps de réfléchir à d’autres options. Nous avons peut-être tendance à voir des incidents mineurs comme de graves catastrophes.

Avec une meilleure compréhension, nous apprenons aux réunions Al‑Anon à réagir différemment. Nous pouvons prendre un moment pour considérer nos sentiments, même au milieu d’une crise. Notre slogan « Penser » nous rappelle que peu de situations exigent une réponse immédiate de notre part. Nous pouvons nous accorder du temps – ne serait-ce que quelques minutes – pour considérer comment nous voulons gérer la situation. Plutôt que de réagir simplement par habitude, nous découvrons qu’en examinant nos sentiments, nous sommes mieux en mesure de gérer les crises qui se présentent. Quand nous nous arrêtons pour « Penser » avant d’agir, nous sommes mieux en mesure de prendre des décisions qui sont dans notre intérêt.

Si tout semble aller de travers à la maison, nous pouvons à tout le moins assister à une réunion et y trouver un havre de paix, entourés par le soutien et le réconfort bienveillant des autres membres. Le simple fait de se rendre à une réunion peut être un geste de sollicitude envers soi, et prendre du temps pour soi peut nous apporter beaucoup.

«Jour après jour, semaine après semaine, je trouve des parcelles de cette sérénité qui est demeurée insaisissable pendant tant d’années. Je suis certaine qu’avec le temps ces parcelles grandiront tandis que je mets les principes Al‑Anon en pratique dans ma vie. J’ai vu et appris suffisamment de choses pour croire que ce programme me conduira où je dois aller, qu’il me libérera de ma souffrance, et qu’il me rendra mon amour de la vie.»

Ayant admis notre impuissance avec la Première Étape, nous nous préparons à permettre à une Puissance Supérieure d’intervenir pour nous. Avec la Deuxième Étape, nous en venons à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes peut nous rendre la raison. Ces Étapes offrent de l’espoir même au milieu du désespoir.

Quelle que soit notre définition de ce qu’est une Puissance Supérieure, une chose que nous avons presque tous en commun, c’est notre désir d’une vie plus sereine. Cela peut signifier différentes choses pour chacun d’entre nous. Pour certains, cela peut signifier sortir de nos rôles habituels et apprendre à réagir différemment vis-à-vis notre famille marquée par l’alcoolisme. Pour d’autres, cela peut signifier nous engager à mieux prendre soin de nous-mêmes, et cultiver des relations saines avec des gens qui nous aiment et qui nous acceptent tels que nous sommes.

Quand une nouvelle crise se présente, nous pouvons être incertains de notre décision de réagir différemment. Si notre priorité est de prendre soin de nous-mêmes, qui prendra soin des autres ? Bien qu’il soit possible que nous soyons tout d’abord hésitants dans la pratique de nouveaux comportements, nous pouvons nous dire qu’avec la pratique, cela devient plus facile. Nous finirons par réaliser que, quoi qu’il en soit, nous n’avions de contrôle sur quiconque.

Sortir du chaos

Certains d’entre nous sont tellement habitués à vivre avec le chaos qu’il est difficile d’imaginer notre vie autrement. Tout comme l’alcoolique est devenu dépendant de l’alcool, nous pouvons développer une dépendance au chaos. Jusqu’à maintenant, notre expérience de la sérénité a peut-être été limitée. Même quand les choses vont bien, nous pouvons chercher inconsciemment à nous saboter nous-mêmes afin de créer une crise. Si nous nous sentons le moindrement paisibles, il nous arrive de croire que c’est le calme avant la tempête. Nous attendons anxieusement que quelque chose tourne de travers. Même si ce n’est pas agréable, cela nous semble familier et confortable. La dernière chose que nous voulons, c’est d’être pris par surprise. Nous concentrer constamment sur les situations de crise – réelles, anticipées ou créées de toutes pièces – nous empêche en fin de compte de nous concentrer sur nous-mêmes.

Certains d’entre nous ne pouvaient obtenir l’attention de notre famille ou de nos amis que si nous étions au milieu d’une crise. Cela a pu renforcer notre conviction que nous n’étions dignes de réconfort que lorsque nous étions des épaves émotionnelles. Il a peut-être fallu ces crises et ce chaos à répétition pour nous conduire aux salles de réunion Al‑Anon. Plusieurs d’entre nous arrivent épuisés sur les plans mental, émotif, physique, et spirituel. Al‑Anon peut sembler être le dernier recours. Toutefois, c’est ici que nous apprenons que nous n’avons pas à attendre d’être complètement épuisés ou désabusés pour nous accorder l’attention que nous méritons.

Si nous avons honte de ce chaos dans notre vie, il peut être difficile d’exprimer ce que nous traversons, particulièrement avec nos proches. Les gens qui nous entourent ne sont pas tous familiers avec les effets de l’alcoolisme. Notre entourage peut se demander pourquoi nous ne faisons pas quelque chose de plus radical pour changer la situation. Dans Al‑Anon, nous sommes soulagés de découvrir que les autres peuvent entendre notre souffrance sans nous donner de conseils.

Notre relation avec un Parrain ou une Marraine peut nous aider beaucoup tandis que nous apprenons à nous concentrer sur nous-mêmes. Notre Parrain ou notre Marraine est une personne qui s’est engagée à cheminer à nos côtés dans notre rétablissement, quelqu’un qui peut nous aider tandis que nous apprenons à mettre les principes du programme en pratique dans notre vie. Cette relation individuelle fondée sur le respect mutuel nous permet de partager les détails de notre parcours et de nos difficultés.

La prière et la méditation ont sauvé plusieurs d’entre nous de l’obsession et de l’inquiétude qui accompagnent si souvent une crise. Quand nous sommes au milieu du chaos, il peut être difficile de nous arrêter pour méditer. Une prière toute simple qui a aidé plusieurs d’entre nous, c’est la Prière de Sérénité. Elle est facile à mémoriser, et la répéter peut avoir un effet tranquillisant, particulièrement au milieu d’une crise :

Mon Dieu, donnez-moi la sérénité

d’accepter les choses que je ne puis changer

le courage de changer les choses que je peux

et la sagesse d’en connaître la différence.

Dans cette simple prière, la première chose que nous demandons à notre Puissance Supérieure, c’est le cadeau de la sérénité. Nous ne demandons pas que notre situation change, mais plutôt d’obtenir la force de changer notre réaction face à cette situation. Cette demande indique notre désir d’obtenir la tranquillité d’esprit, que notre Puissance Supérieure nous montre une autre façon de réagir. En prenant le temps de réciter cette prière, nous permettons à notre esprit de se concentrer sur autre chose, ne serait-ce qu’un instant. Il est possible de trouver la sérénité même au milieu du chaos. Nous n’avons pas à vivre dans un constant état de vigilance. Avec l’aide d’Al‑Anon, nous avons aujourd’hui le choix.

Vivre avec une maladie chronique causée par l’alcoolisme

L’alcoolisme est une maladie à trois niveaux : physique, émotionnel, et spirituel. L’abus d’alcool sur une longue période peut causer des ravages chez l’alcoolique et conduire à une maladie chronique. Toutefois, les maladies chroniques dues à la consommation prolongée n’affectent pas que les alcooliques en phase active. Les personnes abstinentes depuis des années peuvent également être affectées. Avant même que la maladie de l’être cher devienne réalité, plusieurs d’entre nous ont redouté le jour où on nous annoncerait une telle nouvelle. Une crise médicale peut sonner le réveil pour la personne alcoolique et souvent la motiver à se tourner vers le rétablissement. Dans d’autres cas, des professionnels de la santé ont souvent averti l’être cher de possibles problèmes de santé, avertissements qu’ils ont niés ou ignorés.

Cela nous peine de voir l’être cher continuer de boire, malgré ces avertissements d’une maladie ou même d’une mort imminente. Nous nous inquiétons quotidiennement de la santé de l’être cher, et nous avons parfois l’impression d’assister à un lent suicide. Nous avons de la difficulté à ne pas imaginer ce qui pourrait aller de travers demain, ou ce qui sera exigé de nous si l’être cher tombe malade. Certains d’entre nous se sont promis de partir si la consommation devenait intolérable. Mais si l’être cher tombe malade, nous ne voudrons peut-être pas partir, ou nous aurons l’impression que nous ne pouvons pas.

Certains d’entre nous n’ont aucun réseau de soutien avant d’arriver à Al‑Anon. Nous occuper constamment de l’alcoolique nous a peut-être laissé peu de temps pour entretenir nos relations avec notre famille et nos amis. Devant l’apparition de la maladie, il peut sembler que nous n’avons nulle part où nous tourner. Al‑Anon peut nous offrir le soutien et l’encouragement qui étaient absents de notre vie.

«Dès le départ, je me suis sentie chez moi dans Al‑Anon. Un endroit où obtenir du soutien était nouveau pour moi. C’était comme me sentir enveloppée d’une chaude et confortable couverture. J’ai été surprise de constater que les autres membres étaient comme moi.»

Ayant consacré tellement d’attention à l’alcoolique, nous avons pu nous en accorder très peu ou pas du tout. Surveiller constamment les autres peut nous rendre malades. Involontairement, nous pouvons commencer à négliger nos besoins essentiels, que ce soit manger adéquatement, faire de l’exercice, nous accorder du temps, ou faire des activités que nous aimons. Dans Al‑Anon, nous apprenons que nous méritons la même qualité de soins que nous offrons aux autres.

Si nous prenons soin d’un proche souffrant d’une maladie chronique, nous devrons peut-être nous rappeler quotidiennement de prendre également soin de nous-mêmes. Des réunions plus fréquentes, une soirée pour nous-mêmes, un café avec notre Parrain ou notre Marraine ou un ami Al‑Anon, voilà quelques façons de nous procurer des soins et du soutien. Si nous ne pouvons pas aller à une réunion ou parler à notre Parrain ou notre Marraine, nous pouvons nous tourner vers notre documentation, qui est toujours à notre portée. Nous pourrons être surpris de constater que lire seulement une ou deux pages peut nous aider à nous sentir moins seuls. Même si la maladie chronique demeure une compagne quotidienne dans notre vie, nous pouvons nous dire qu’il en est de même du programme Al‑Anon.

Le deuil anticipé

Anticiper la prochaine chose qui pourrait aller de travers, c’est très commun pour ceux d’entre nous qui vivent ou ont vécu au contact de l’alcoolisme. Nous craignons de recevoir un appel dans la nuit nous informant que l’être cher a eu un accident d’automobile. Ou bien nous craignons que l’alcoolique ne pique une violente colère en rentrant à la maison. D’un jour à l’autre, toutes sortes de scénarios tragiques peuvent se bousculer dans notre tête. Nous craignons que la consommation continue, nous apportant son lot de souffrances et de soucis.

Vivre avec la peur de l’imprévisible peut être semblable à de l’interférence émotionnelle. Cela préoccupe notre esprit et nous empêche d’avancer. Nous regardons peut-être l’être cher mourir à petit feu devant nos yeux. Même si l’être cher cesse de boire, nous sommes parfois surpris de constater que l’anxiété et la peur ne nous ont pas quittés. Les ressentiments non résolus et la peur que l’alcoolique ne fasse une rechute peuvent rapidement remplacer nos inquiétudes antérieures.

« Ne pas compliquer les choses » nous rappelle de garder les yeux sur ce qui se passe réellement, et non sur ce qui pourrait arriver. Parfois, une véritable crise demandera notre attention et nous forcera à agir immédiatement. La plupart du temps, nous pouvons abandonner notre sentiment d’urgence. Nous pouvons prendre une ou deux respirations, demander l’aide de notre Puissance Supérieure, et décider calmement quelle sera notre prochaine étape.

La peur est un instinct qui nous avertit souvent d’un danger. Dans Al‑Anon, nous apprenons à vivre dans le moment présent et à abandonner nos craintes concernant l’avenir. Pour y parvenir, nous devons d’abord reconnaître comment nous avons été affectés par notre ancien mode de vie. Souvent, prévoir ce qui pourrait aller de travers a pu nous aider à survivre. Demeurer alerte à notre environnement et à l’humeur de l’alcoolique, a pu nous protéger de situations dangereuses.

Nous inquiéter constamment des prochains épisodes de violence nous laisse difficilement le temps de réfléchir aux choix qui s’offrent à nous. Certains d’entre nous ont constaté qu’en nous accordant du temps sans la présence de l’alcoolique, nous pouvions mieux discerner les choses que nous pouvions faire pour améliorer notre vie. Si nous vivons confrontés à la violence, peut-être avons-nous besoin d’aide professionnelle ou devons-nous prendre des décisions immédiates pour assurer notre bien-être et la sécurité de nos enfants. Nous n’avons pas à tolérer de comportements violents. Si nécessaire, nous pouvons partir. Quoi que nous décidions, Al‑Anon sera là pour nous soutenir. Plusieurs d’entre nous ont constaté qu’en utilisant les principes Al‑Anon, certaines solutions que nous n’aurions pas vues par nous-mêmes nous apparaissent – quel que soit le temps que nous ayons passé à y penser.

Quand nous prenons conscience de notre propension à la peur et aux inquiétudes, nous pouvons commencer à prendre des mesures pour changer nos attitudes. Avec la Quatrième Étape, nous procédons à un « inventaire moral sérieux et courageux de nous-mêmes ». En appliquant cette Étape à nos peurs et à nos inquiétudes, nous réalisons des choses que nous n’aurions pas vues autrement. Avec cette Étape, nous pouvons réfléchir à ce qui peut nous empêcher d’abandonner notre anxiété. Nous pouvons remercier nos peurs de nous avoir protégés et demander à notre Puissance Supérieure de les éliminer.

Comme plusieurs d’entre nous peuvent le confirmer, nous abandonner au stress, à l’anxiété et à l’inquiétude ne facilite pas notre vie. « Un jour à la fois » nous rappelle que nous pouvons faire face à la plupart des situations pendant une période de 24 heures. Utiliser ce slogan peut particulièrement nous aider lorsque nous nous efforçons de gérer nos peurs et nos inquiétudes. Si nous pensons à faire quelque chose « pour toujours », cela semblera insurmontable – mais « aujourd’hui seulement » nous pouvons faire presque n’importe quoi.

La qualité de notre rétablissement dépend tellement de nos changements d’attitudes. Il se peut que les alcooliques dans notre vie cessent de boire ou non. Ils pourront continuer de boire malgré une santé défaillante, et malgré nos efforts pour les convaincre de changer. Cela ne veut pas dire que nous devions nous-mêmes nous laisser tomber. Al‑Anon nous rappelle que des choix s’offrent à nous, même quand cela ne semble pas être le cas. Même si nous ne pouvons pas supprimer entièrement nos peurs, nous n’avons pas à leur permettre de nous contrôler. Nous n’avons plus à nous soumettre à une existence remplie de peur, d’appréhension, et d’anxiété.

Le détachement, un cadeau

Dans Al‑Anon, nous entendons beaucoup parler de détachement avec amour. Toutefois, cela peut nous sembler particulièrement difficile quand nous avons le sentiment d’être en deuil. Nous étions peut-être tellement habitués à consacrer notre volonté et notre énergie à améliorer les choses, c’est un peu comme si on nous demandait maintenant de ne rien faire ou de nous désintéresser. Cela peut nous aider de nous dire qu’en nous détachant, nous confions à notre Puissance Supérieure cette personne, cet endroit ou cette chose que nous ne pouvons pas contrôler et que nous n’avons jamais contrôlé de toute manière.

Nous détacher peut simplement vouloir dire que nous prenons un moment pour décider comment réagir, plutôt que de le faire immédiatement. Cela peut vouloir dire ne pas prendre personnellement tout ce que dit ou fait l’alcoolique. Nous détacher avec amour signifie que nous pouvons détester la maladie de l’alcoolisme, tout en éprouvant de la compassion pour l’alcoolique. Nous pouvons lui dire que nous l’aimons, même si nous n’aimons pas les choses qu’il ou elle fait.

« Lâcher prise et s’en remettre à Dieu » peut nous aider à mettre en pratique le détachement avec amour. Admettre notre impuissance ne veut pas dire que nous sommes sans ressources. Nous pouvons agir de manière positive en priant pour l’alcoolique et pour nous-mêmes, en nous respectant nous-mêmes et en établissant des limites. Nous détacher avec amour ne signifie pas que nous cessons d’aimer l’alcoolique, ni que nous devenions passifs. Au contraire, le détachement est un puissant geste d’amour – pour nous-mêmes et pour l’alcoolique.

«J’ai remis mon mari entre les mains de Dieu, où ses chances d’une vie sobre sont bien meilleures.»

Des membres partagent leur expérience, leur force et leur espoir: vivre avec le mal familial de l’alcoolisme

Je suis allée à ma première réunion Al‑Anon parce que j’avais tellement peur que mon conjoint meure de la maladie de l’alcoolisme. Je ne pouvais plus dormir la nuit parce que c’était tout ce à quoi je pensais et rêvais. Mon chagrin pouvait survenir à tout moment de la journée, et je me mettais soudainement à pleurer. Cela m’inquiétait parce que j’avais toujours été une personne enjouée et positive. À cause de la maladie, je devenais méchante et je m’isolais. Je ne voulais pas avoir d’amis et je ne voulais parler à personne.

Al‑Anon a changé ma vie. Quand j’ai exprimé ma peur que l’alcoolique meure, les membres ont écouté. J’ai rapidement réalisé que je n’avais rien d’autre à dire concernant mes peurs. J’ai commencé à écouter les autres. Les membres semblaient être heureux. Il y avait des rires aux réunions. Alors, je suis revenue. J’ai commencé à mettre le programme en pratique et à demander l’aide de ma Puissance Supérieure. Ma colère et la peur de perdre mon conjoint ont fini par disparaître. Mon slogan favori est « Lâcher prise et s’en remettre à Dieu ». Cela m’aide à me concentrer sur moi et à m’occuper de mes propres affaires. Quant à mes sentiments de deuil, je sais maintenant que je peux les ressentir tout en continuant de vivre ma vie.

 

J’ai adhéré à Al‑Anon pour tenter d’empêcher ma mère de boire jusqu’à en mourir. Étant l’aîné et son seul fils, je me sentais très responsable d’elle. Par la grâce de ma Puissance Supérieure et avec l’aide que j’ai reçue du programme, j’étais dans Al‑Anon depuis 20 ans quand elle est morte. Nous étions alors tous deux bien différents de ce que nous étions à mes débuts.

Ma mère a vécu ses dernières années dans la sobriété, mais non sans problèmes de santé. Plusieurs avaient sans doute été causés ou aggravés par ses années de consommation d’alcool. Je suis devenu son principal soignant. Heureusement, j’avais alors appris à faire la différence entre soignant et gardien. J’ai tout de même eu de la difficulté avec mon rôle par moments. Pourquoi était-ce à moi qu’on se fiait généralement ? Pourquoi mes sœurs n’en faisaient-elles pas plus ? Ne devrais-je pas prendre soin de moi au lieu de m’occuper encore de ma mère, comme je l’avais fait étant enfant, quand elle buvait ?

J’ai fini par en arriver à la conclusion que c’était mon choix de prendre soin d’elle. Si personne d’autre ne le faisait, cela n’avait pas d’importance parce qu’en y pensant bien, je savais que je voulais être avec elle. Lui donner des soins – pendant les convalescences à la maison, les visites à l’hôpital, et les retours à la maison – c’était aussi une façon de me donner à moi. Je savais que viendrait un jour où je donnerais n’importe quoi pour passer une seule minute de plus avec elle, et que ce ne serait plus possible.

M’accorder ce temps avec ma mère, c’était un cadeau spécial que je me remémore maintenant avec amour et gratitude. Grâce à Al‑Anon, je pouvais être attentif à mon désespoir et à mes frustrations quand les soins quotidiens m’épuisaient, et je prenais des pauses quand c’était possible. Mais je pouvais aussi apprécier chaque moment, « Un jour à la fois », que j’avais en sa compagnie. En fin de compte, je n’ai eu aucun regret, sachant que dans mes actions, j’ai été fidèle à moi-même autant qu’à ma mère.

 

Quand mon mari est parti en traitement, j’ai vécu seule pour la première fois en 27 ans. Tout me semblait tellement plus difficile – marcher seule avec le chien, payer les factures, tondre la pelouse. J’avais toujours cru être une femme compétente, mais je me sentais peu sûre de moi et incompétente devant ces corvées ordinaires. Je craignais que si je ne rentrais pas de ma promenade, personne ne s’inquiéterait. Quand je payais les factures, je me sentais dépassée par tout l’argent que nous dépensions chaque mois. Un jour, après plusieurs tentatives infructueuses pour faire démarrer la tondeuse, je me suis retrouvée dans le garage à tenter de retenir des larmes de frustration. C’est là que j’ai réalisé que je devais demander de l’aide.

Quand mon mari est revenu à la maison, il était différent, très fragile et anxieux, et j’ai réalisé qu’il fallait que notre relation change. Je craignais de l’accabler encore plus avec mes problèmes. Il m’a ensuite dit qu’au centre de traitement, il avait remplacé l’alcool par la cigarette. J’étais choquée et terrifiée. Il avait cessé de fumer 15 ans plus tôt quand son docteur lui avait dit qu’il n’atteindrait pas 50 ans s’il ne le faisait pas. Je me sentais dépassée par sa décision.

Dans Al‑Anon, j’ai appris à demeurer dans le moment présent. Chaque jour, je me rappelle d’être reconnaissante pour ma bonne vie. J’ai un mari sobre qui m’aime, et j’ai également aujourd’hui, qui sera un bon jour si c’est ce que je choisis d’en faire. Si je reste dans l’ombre des peurs et des inquiétudes, je rate des occasions d’être heureuse.

 

Mon chagrin et mon deuil ont débuté trois ans avant la mort de mon mari, quand il est devenu un alcoolique à part entière. Faire des choses agréables ensemble, notre vie comme elle était avant, je ressentais la perte de tout cela. Être blâmée pour tout, particulièrement de « l’amener à boire », m’a conduit à la folie. Que pouvais-je faire pour arrêter ça ? Mon fils aîné m’a traînée à Al‑Anon, et quel réveil j’ai connu ! J’ai appris que je n’étais pas la cause de l’alcoolisme de mon mari. Il était un homme très malade que je ne pouvais ni aider, ni guérir. Avec l’aide d’Al‑Anon, j’ai quelque peu retrouvé la joie de vivre. J’ai découvert que je n’étais pas seule dans cette triste situation. Mon mari est mort d’une crise cardiaque pendant que je marchais avec notre chien. Cela a été difficile pour moi, mais avec Al‑Anon j’ai surmonté la situation. Maintenant, je peux même me souvenir des bons moments passés ensemble, et je sais que mon mari est mieux là où il est.

 

Quand je suis arrivé à Al‑Anon, j’avais perdu presque tout ce qui me tenait à cœur. La consommation d’alcool de ma femme s’était aggravée. Elle avait été en thérapie à plusieurs reprises et les rechutes se succédaient. Je ne voyais aucune issue. Je ne voyais pas mon rôle dans tout ce chaos et je ne croyais pas avoir besoin d’aide avec ce que je considérais comme étant son problème. Je ne voyais pas à quel point j’étais devenu malade, rempli d’anxiété et de ressentiments. Quand ma femme a accepté d’aller en thérapie à l’extérieur de la ville, j’ai cru que mes problèmes étaient réglés.

Après son départ, j’ai ressenti un énorme vide. Je ne savais pas si elle allait revenir, et je n’avais plus personne de qui m’occuper. J’avais passé tant d’années à essayer de la sauver que j’avais perdu ma propre identité. Peu de temps après, ma mère a mis fin à ses jours. Elle s’était également débattue avec l’alcoolisme, et c’était devenu trop pour elle. Ce deuil a dépassé tout ce que j’aurais pu imaginer. Je n’avais plus aucune réponse.

Puis je me suis souvenu que ma femme m’avait suggéré Al‑Anon à plusieurs reprises. J’ai finalement baissé les bras et je me suis rendu à ma première réunion, craintif, mais prêt à écouter. Quelle surprise ! Les gens riaient et souriaient, et certains avaient des problèmes pires que les miens. Je me suis engagé à essayer six réunions, et j’y vais depuis ce jour. En lisant la documentation et en parlant aux autres membres, j’ai commencé à voir que je n’étais pas responsable de la consommation d’alcool de ma femme. Elle avait sa propre Puissance Supérieure et sa propre voie à suivre.

« Le progrès, non la perfection », c’est ce qui m’a gardé sain d’esprit et incité à revenir la première année. J’avais toujours eu l’impression que je devais être parfait, mais dans Al‑Anon personne ne s’attendait à ce que je le sois. Je me tourne aujourd’hui vers ma Puissance Supérieure, sachant que je ne suis plus aux commandes. J’ai un Parrain et je mets les Étapes en pratique au meilleur de mes capacités. Ma vie s’est améliorée et ma femme est revenue. Aujourd’hui, il y a du rétablissement dans notre foyer. Je n’aurais pu imaginer, il y a trois ans, que j’en serais où j’en suis aujourd’hui. Pour cela, je dois remercier Al‑Anon et ma Puissance Supérieure. Cette maladie m’a enlevé ma mère, et j’ai presque perdu ma femme, mais j’ai obtenu la paix d’esprit et la sérénité.

 

Questions pour réfléchir et méditer

  • Est-ce que je consacre encore mes efforts à trouver de l’aide pour l’alcoolique qui fait partie de ma vie, et cela peut-il m’empêcher de me concentrer sur mon rétablissement ?
  • Si je prends soin d’un alcoolique souffrant d’une maladie chronique, quels sont mes propres besoins et comment puis-je les combler ?
  • Si une véritable crise survenait aujourd’hui dans ma vie, quels outils Al‑Anon pourraient m’aider à y faire face de manière constructive ?
  • Comment ai-je pu susciter ou aggraver des situations de crise ?
  • Si je crains de perdre quelqu’un ou quelque chose en particulier, pourquoi cette perte éventuelle retient-elle tellement mon attention ?